En juin, nous sommes partis à la rencontre de Guilhem Constans, responsable d’opération du site de la grotte des Jonquilles, situé dans une doline à Caniac-du-Causse dans le Haut-Quercy (Lot). Fouillé pour la première année en 2021, cette année 2022 était la deuxième opération de la première année d’une triennale. L’objectif de ce site étant de documenter les modes de vie des derniers chasseurs cueilleurs, Guilhem a accepté de répondre à quelques une de nos questions à propos de lui et du site des Jonquilles.



Vous êtes archéologues, préhistorien et responsable de la fouille programmée de la grotte des Jonquilles pour la deuxième année, comment s’est passée votre expérience ?
Plutôt bien, être responsable c’est à la fois stressant et je ne savais pas trop dans quoi je mettais les pieds en tant que RO (responsable opération) et je n’avais pas trop conscience de tous ce qu’il y avait à gérer, anticiper etc.. Mais je pense que globalement ça c’est bien passé et que j’ai réussi à tenir le chantier et les objectifs.
Cela n’a pas été trop difficile de gérer les équipes ?
Heureusement que j’ai eu deux personnes qui étaient présentes l’année dernière qui connaissaient déjà le terrain et qui m’ont bien aidé, puis les autres se sont vites adaptés, j’ai eu une équipe assez formidable !
Comment vous-êtes-vous retrouvé sur ce chantier ?
C’est une longue histoire ! Combien de temps j’ai pour raconter ? (Rires)
En fait c’est un spéléologue amateur et passionné d’archéologie qui est venu nous voir en 2018 au Cuzoul de Grammat (situé à 16km du site des Jonquilles). On lui a présenté la stratigraphie du Cuzoul, et c’est là qu’il nous a dit qu’il venait de désobstruer une grotte avec exactement la même stratigraphie (lit de cendres, de charbon, de terre rubéfiée..). On est allé vérifier et ça correspondait. Ça sentait déjà pas mal le second mésolithique. C’est très rare des sites du second mésolithique qui n’ont pas encore été fouillé ou qui sont bien préservés, il n’y en a pas tant que ça dans le Quercy en fait. Du coup ça a permis de déclencher une opération, Nicolas Valdeyron, étant responsable du Cuzoul de Grammat, ne souhaitait pas le faire, j’ai donc décidé de lancer l’opération.
La première année en 2021 a permis de vérifier l’intégralité de la stratigraphie, d’être sûr que c’était bien du second mésolithique. On a aussi découvert au passage que sous le second mésolithique il y avait du premier mésolithique (Sauveterrien) et en dessous un ensemble paléolithique supérieur mélangé mais qui reste à confirmer. Et ensuite on a pu lancer la triennale !
Comment avez-vous procédé pour démarrer les fouilles ? Quelles méthodes et axes de recherches choisir et comment les choisir ?
Pour le coup ce sont des axes qui préexistent déjà et articulent toute la recherche sur le mésolithique : mieux comprendre la chaine opératoire du mésolithique et notamment du second mésolithique en particulier dans le Quercy. La région possède des sites de références (le Cuzoul, le site du sanglier…) mais on a des chaînes opératoires qui sont complètements tronquées. Il manque souvent les nucleus et on a pas les étapes de décorticages… Généralement, comme c’est le cas au Cuzoul de Gramat, on retrouve les les armatures, les déchets des armatures et les lames qui servent sans doute à leur fabrication. On sait par ailleurs que pour le Cuzoul de Gramat on n’aura pas la chaîne opératoire complète d’où l’intérêt aussi du site des Jonquilles afin de tenter de préciser cette vision, ce qui n’est actuellement pas encore garanti.

Il y a également une problématique autour des armatures et de l’enchainement des armatures. Il existe des changements, on passe du trapèze ancien au trapèze du martinet, à la pointe » Bâtarde » (dont le nom fait actuellement débat), à la flèche de Montclus. Donc il y a la question de savoir si on a une coexistence entre toutes ces armatures ou au contraire une succession. Le problème vient aussi de la dilatation des couches, on a pas la représentation chronologique de la dilatation des couches. Si on fouille 1 cm ça représente quoi ? 5 ans ? 50 ans ? On part plutôt vers une hypothèse de coexistence mais qui reste à confirmer et le site des Jonquilles permettra de réfléchir à cela.
A ces deux problématique se rajoutent aussi la question de la fonctionnalité des sites. On a très peu de sites mésolithiques dont les données sont encore exploitables (pour le Quercy), actuellement il n’y a que le Cuzoul de Gramat, les autres sites sont remaniés ou fouillés anciennement. On se pose donc la question de la complémentarité des sites. On se retrouve aux Jonquilles sur un site minuscule (5mx5m dans la cavité) alors qu’au Cuzoul on a un vaste site avec des zones d’occupations et d’activités bien identifiées. La question est donc de savoir comment s’intègre le site des Jonquilles dans le paysage mésolithique et de comprendre les activités qui avaient lieux sur place.

Par rapport à ce qu’on a observé jusque là on peut exclure le site d’habitat de longue durée, ça ne semble pas être le cas. Il reste donc à comprendre les activités mésolithiques et l’articulation du site avec les autres sites mésolithique du territoire, afin de questionner la complémentarité des sites et comment il s’articule dans les déplacement des groupes. Alors là on a pas finit de se gratter la tête je pense !
Qu’est ce que le chantier a donc pu vous révéler jusqu’à présent ?
Pour l’instant c’est encore un peu prospectif car la première année on a pas vraiment fouillé, on a découvert les coupes et les couches. On a très peu de matériel sur la première année, il est d’ailleurs très fragmenté et brûlé mais on a, cela dit, plusieurs armatures qui sont sorties en stratigraphie. On sait qu’on aurait probablement toute la séquence du second mésolithique de la phase ancienne jusqu’à la phase finale. Cela sous-entend aussi qu’ils sont passés longtemps sur ce site, on confirmera ça par des datations. Mais un site aussi petit que ça, avec une dilatation d’à peu près 1m10/1m20 de séquence Mésolithique (2nd Mésolithique et Sauveterrien probable), ça pose des questions. Nous nous attendons à plus d’un millénaire d’occupation, mais seules les datations permettront de valider ou d’infirmer cette hypothèse. Cela signifie que c’est un point d’intérêt, ils sont venus longtemps et plusieurs fois, la question reste de savoir pour quoi faire ? Il semble y avoir une grosse production de cendre et des pratiques tournées vers le feu. Pour le moment il est difficile d’en dire plus.
Par contre la grotte est inhabitable c’est trop petit, s’il y a eu des habitats c’était devant, après pour protéger des foyers c’est un lieu qui peut marcher. Le site est donc sans doute plus étendu que la vision partielle que nous avons dans la cavité.
Est-ce-que lorsque l’on fouille on espère trouver quelque chose de plus ou moins précis ? Les résultats sont-ils à la hauteur de vos espérances ?
J’y suis un peu allé sans trop savoir à quoi m’attendre. Il y a des choses auxquelles je m’attendais, notamment à trouver des armatures, j’espérais sortir toute la séquence des pointes de flèches, ce qui est arrivée et qui est très bien !
Sur les niveaux qu’on a fouillé cette année, on a des flèches de Montclus qui sortent, donc c’est vraiment du mésolithique final. On verra quels sont les autres types d’armatures qui sortiront en stratigraphie, ce qui permettra de confirmer que nous avons toute la séquence (ou une grosse partie) du 2nd Mésolithique. Cela prendra encore plusieurs années


De toute façon on ne sait jamais trop ce qu’on va découvrir, mais ce qui est intéressant en dehors des vestiges qu’on sort ça va être les niveaux. Comment se sont accumulées les couches, est ce qu’on va trouver des foyers ou pas ? Quels types de foyers ? A quoi renvoi les différents niveaux identifiés ? (c’est-à-dire à quelles activités). C’est observer comment se sont accumulées les différentes couches et comprendre toute la structurations de l’occupation.
Avez-vous rencontré des difficultés ou des obstacles quelconques ?
Pleins ! (Rires)
Cette année on a un arbre qui s’est écroulé sur le chantier ! Il était relativement haut et une branche a empiété sur la tranchée ouverte devant le site, heureusement qu’on prenait le café un peu plus loin. C’était plutôt inattendu mais une bonne expérience car maintenant je vais vérifier systématiquement tout les arbres morts avant chaque campagne !! Au passage j’en ai déjà couper trois pour sécuriser le site ! (Rires)
Avec ça, on eu le lot de malades, comme on s’est pris une semaine de pluie, on a eu une épidémie d’angine, puis un cas isolé de covid qui ne s’est pas propagé, heureusement.
Enfin, le camion de location est tombé en panne sur l’autoroute à cause de la chaleur…
Quel moment préférez-vous dans la campagne de fouilles ?
La fouille je pense ? La préparation c’est toujours un peu stressant, il y a plein de trucs à prévoir, c’est pas le côté le plus marrant et ça prend pas mal de temps aussi. La fouille c’est l’aboutissement de toute la préparation et de toutes les données étudiées durant l’année précédente. Cela permet également de rencontrer d’autres personnes, qu’il s’agisse de bénévoles sur le terrain, de collègues ou d’autres équipes de fouilles. Les échanges sur le terrain sont toujours constructifs et plaisants. Cela permet parfois d’envisager les choses un peu différement, c’est assez plaisant.
Avez-vous une petite anecdote à nous raconter sur les campagnes 2021 et/ou 2022 ?
J’en ai une sur l’année d’avant mais je ne sais pas si c’est à rendre public… (rires)
Un fouilleur·euse, qui était là l’an passé, a vu arriver quelqu’un au loin et a cru voir un détectoriste qui venait sur le site. Il/Elle a essayé de le faire fuir avec un bâton, sauf que cette personne était simplement une personne du SRA (service régional de l’archéologie) en béquille ! Heureusement la personne du SRA l’a bien pris mais quand même il ne faut pas attaquer le SRA ! (rires) ni les détectoristes d’ailleurs, il vaut mieux aller leur parler.
Le chantier n’est pas fini il se renouvelle en 2022 et 2023, quelles sont vos projections, vos attentes, vos espoirs sur les années à venir ?
J’espère que je vais réussir à comprendre toute la stratigraphie sans avoir trop de problème. J’aimerais bien trouver un os gravé aussi, on en a pas beaucoup. L’art mésolithique est connu mais dans le Quercy on a pas tant d’exemplaire que ça. On a un tout petit os gravé qui est sorti l’année dernière au Jonquilles mais il fait 2cm donc oui j’aimerais bien trouver de l’industrie osseuse gravée mais pas de sépultures par contre ! En tout cas pas avant la fin de la fouille parce que ça complexifie pas mal la gestion du chantier ! On verra. Sur le site lui-même c’est difficile d’envisager les découvertes. J’espère que tout cela participera et nourrira la réflexion autour du Mésolithique. Le site s’y prête et participera à la dynamique de recherche sur le Mésolithique du Quercy, actuellement essentiellement représentée par les recherches menées sur le Cuzoul de Gramat.

Pour en savoir plus sur notre chercheur, voici son portrait chinois :
Si vous étiez une ville, vous seriez ?
Berlin, c’est une ville relativement ouverte dans tous les sens du terme : ouverte d’un point de vue architectural avec de grands espaces, et aussi ouverte car des gens viennent d’un peu partout dans le monde. C’est à la fois calme et vivant.
Si vous étiez un plat, vous seriez ?
Je dirais un tiramisu, avec un peu de rhum et du cacao, c’est très bien !
Si vous étiez un animal, vous seriez ?
Peut être une chauve-souris, quelque chose comme ça. Cavernicole c’est pas mal en plus, sortir la nuit regarder ce qui se passe autour…
Si vous étiez un type de livre vous seriez ?
Plutôt roman d’aventures ou alors autobiographique.
Si vous étiez un objet sur le chantier vous seriez ?
Je serais le tachéomètre, c’est aussi une private joke de cette année où les fouilleurs ont inventé un jeu où le maître du jeu est le tachéomètre. Egalement parce que ça permet de mesurer et de regarder un peu partout autour de soit et de tout contrôler. Il voit tout et mesure tout.

Si vous étiez un vestige archéologique, vous seriez ?
Un silex parce que c’est l’objet sur lequel je travail et parce que c’est bien plus vivant que ce que l’on imagine. C’est rempli de petits fossiles, ça raconte toujours une histoire.
Si vous étiez un personnage historique, vous seriez ?
L’abbé Breuil.
Si vous étiez un moment de la journée, vous seriez ?
Plutôt le soir, c’est variable selon les moments de l’année, parfois le matin parfois le soir, plutôt le soir en ce moment. Mais je préfère le soir ou la nuit globalement.
Si vous étiez une qualité, vous seriez ? Généreux ? Je pense enfin j’espère ? !
Si vous étiez un défaut, vous seriez ?
Un défaut ? Je n’ai pas de défaut (rires), je dirais quand même anxieux, trop parfois.