Le grand rift Est africain et les karsts (grottes) d’Afrique du Sud sont les deux « berceaux de l’Humanité », là où l’apparition du genre Homo est documentée. La région proposée, à cheval entre le sud du Malawi et le nord du Mozambique, constitue un véritable trait d’union géographique et biologique entre ces deux zones. Or, les karsts situés de part et d’autre de la terminaison du rift, sont quasiment inconnus et sont susceptibles de receler des sites fossilifères anciens comme ceux que étudiés en Afrique du Sud. Pour découvrir et étudier ces sites, l’équipe sous la direction de Laurent Bruxelles (Inrap, IFAS, Traces) mènera une étude interdisciplinaire, multiscalaire en croisant les approches afin d’identifier l’histoire et l’origine des pièges karstiques, leur géométrie, la nature des remplissages, leur datation ainsi que la caractérisation des fossiles et des outils qu’ils contiennent. Différents outils (SIG, imagerie, géologie, prospection de terrain, drone, géophysique, paléontologie et archéologie) seront mobilisés afin de contribuer à répondre à la question de nos origines.
État de l’Art et problématique
À ce jour, deux principales régions en Afrique peuvent se revendiquer comme « berceau de l’Humanité » au sens strict, c’est-à-dire où se trouvent des sites fossilifères documentant l’apparition du genre Homo : le grand rift Est africain et les karsts d’Afrique du Sud. Le grand rift est-africain est un vaste fossé d’effondrement lié aux processus de séparations des plaques tectoniques nubienne et somalienne. Au fur et à mesure de l’affaissement du plancher du rift depuis 20 millions d’années, des sédiments se sont accumulés sur de fortes épaisseurs. Cette pile sédimentaire constitue un enregistrement exceptionnel de l’évolution paléoenvironnementale de cette région d’Afrique de l’Est au Tertiaire et au Quaternaire. Des vestiges de faune et de flore ont été préservés au sein de ces dépôts, dont ceux d’Hominines anciens (au sens de la tribu homini) : australopithèques, paranthropes et humains, couvrant la période d’apparition du genre Homo (rév. dans Antón et al., 2015). Le mécanisme de rifting a été accompagné tout au long de son histoire par une activité volcanique liée à la décompression du manteau terrestre et donc par la production d’éléments volcaniques à partir desquels ont été réalisées des datations (40Ar/39Ar), apportant des calages temporels précis.
La seconde région pouvant être considérée à ce jour comme un « berceau de l’Humanité » se situe en Afrique du Sud dans un contexte géologique et géomorphologique très différent : le karst. Ici, ce sont les grottes qui ont joué le rôle de piège sédimentaire et, selon l’ancienneté de leur formation et de leur recoupement par la surface topographique, des dépôts d’âges variables s’y sont accumulés. Néanmoins, jusqu’à très récemment, les fossiles sud-africains étaient considérés comme trop récents, du fait de datations mal contraintes par le contexte stratigraphique complexe des grottes (Pickering et al., 2011). La datation du fossile d’australopithèque Little Foot, quasi-complet et encore en connexion anatomique, a remis cette perception en cause (Bruxelles et al., 2014, Granger et al., 2015). En effet, avec une date de 3,67 Ma, ce fossile démontre, conformément à certaines données géologiques et biochronologiques, que l’Afrique australe a enregistré une histoire des hominines au moins aussi longue et complexe que celle révélée depuis plusieurs décennies dans le rift Est-Africain. Ces deux régions proposent un enregistrement parallèle mais complémentaire de ce long processus évolutif.
Il apparaît donc désormais que l’Afrique du Sud pourrait être potentiellement le « berceau de l’Humanité », au même titre que l’Afrique de l’Est. Mais il serait peut-être préférable de dire l’un des berceaux de l’Humanité. Car en effet, si l’on trouve des vestiges d’Hominidés anciens en Afrique de l’Est et en Afrique du Sud, c’est surtout parce que les conditions de préservation y sont très favorables. Il est fort probable qu’il y avait à l’origine beaucoup d’autres « berceaux » voire même certainement qu’une très grande partie de l’Afrique soit le berceau. Aujourd’hui, on ne retrouverait des fossiles que dans les secteurs dont l’histoire géologique et géomorphologique se sont conjuguées pour préserver ces vestiges dans de bonnes conditions. Les recherche de nouveaux vestiges doit maintenant passer par la recherche des pièges géologiques. Ainsi, le projet HOMME, propose de rechercher les pièges géologiques pouvant avoir préservé d’autres morceaux du « berceau de l’Humanité » dans une zone clé à plusieurs titres.
Objectifs
La région étudiée a une position unique, à la croisée entre trois grands domaines géologiques, géomorphologiques et bioclimatiques : la partie la plus méridionale du rift est-africain, les grandes surfaces d’érosion qui caractérisent une grande partie de l’Afrique et la vaste plaine littorale le long de l’Océan Indien. Il s’agit du seul lieu en Afrique où les remplissages fluvio-lacustres du rift (Malawi) se situent à proximité de massifs karstiques. Il y a donc ici une possibilité d’établir des corrélations entre les cortèges fauniques et floristiques, en s’affranchissant notamment des questions de taphonomie, très différentes entre les deux domaines. Notons que des fossiles d’hominines anciens (Paranthropus et Homo) ont été trouvés dans le secteur étudié, en bordure du Lac Malawi (Kulmer et al., 1999 ; Schrenk et al., 1993). Il n’y a donc pas de raison que d’autres pièges sédimentaires, comme les cavités karstiques toutes proches, n’en contiennent pas. Cependant, si les karsts constituent d’excellents enregistreurs de la faune et des paléoenvironnements, leurs datations sont souvent complexes et délicates à interpréter. Ici, pour la première fois dans le cadre de l’étude de sites à hominines anciens, et grâce au volcanisme proche, pourront être croisées les méthodes de datations. Aux datations (U/Pb) de spéléothèmes (S. Deschamps et A. Guilhou, CEREGE), pourront être réalisées des datations (40Ar/39Ar) à partir des retombées volcaniques (S. Nomade, LSCE).
La découverte de nouveaux sites fossilifères dans cette région serait une avancée majeure dans la connaissance de l’évolution humaine en faisant sauter plusieurs verrous scientifiques d’importance. Cette aire constitue littéralement le trait d’union entre le grand rift est africain et les karsts d’Afrique australe, séparés de 4000 km. Ces fossiles offriraient la possibilité de mieux comprendre la répartition des espèces d’australopithèques et des paranthropes (jusque-là exclusives à chacun des deux grands domaines) et de fournir un jalon supplémentaire concernant l’apparition du genre Homo. En outre, il n’est pas exclu que de nouvelles espèces soient présentes dans cette région et qu’elles viennent enrichir le registre des fossiles de la lignée humaine. De telles découvertes pourraient contribuer à apporter une réponse à une question cruciale et toujours en suspens concernant la monophylie ou la paraphylie dans l’évolution de ces espèces d’hominines anciens, soit en montrant leur coexistence dans cette zone intermédiaire, soit en mettant en évidence le passage d’une zone vers l’autre. En effet, le grand rift constitue un couloir naturel qui a inévitablement orienté les migrations et dont le secteur que nous proposons d’étudier se situe exactement à son débouché.
Résultats attendus
L’ambition du projet est très grande puisqu’il propose de documenter les possibles mécanismes de diffusion des acteurs de la lignée humaine. Il s’inscrit donc dans les thématiques actuellement débattues au niveau international sur les origines de l’Homme. Ce projet présente cependant une prise de risque évidente car il s’agit de prospecter une zone clé, à fort potentiel, mais quasiment vierge de ce type de recherches. Il suffirait qu’un seul vestige d’hominidé soit découvert pour valider l’ensemble de la problématique et de la méthodologie employée ici. Toutefois, même si aucun vestige était découvert au cours de ces deux ans, ce projet aura posé les bases des futures recherches paléoanthropologiques dans cette région clé en apportant des connaissances géologiques, géomorphologiques et paléontologiques inédites. Dans tous les cas, nos résultats constitueront les fondations des programmes de recherche à venir en ciblant encore mieux les zones fossilifères potentielles.
Les approches multiscalaires croisées et la possibilité de recourir à deux méthodes complémentaires de datation sont très novatrices dans ce type de recherche et seront le gage d’un positionnement chronologique fiable des découvertes. Il pourra même, à terme, servir de référence aussi bien pour les gisements du rift que pour ceux des karsts d’Afrique du Sud. En complément des observations paléontologiques et paléoanthropologiques, ces résultats constitueront les premiers éléments de comparaison entre ces deux domaines géologiques qui ont fourni la quasi-totalité des fossiles d’hominines anciens. Une autre ambition de ce projet, outre la découverte de nouveaux fossiles est, en retour, de préciser les modalités de conservation des vestiges fossilifères en fonction des contextes géomorphologiques. À terme, il sera possible de maîtriser ces mécanismes explicatifs, qui seront donc modélisables (Jean Cherry) pour identifier de nouvelles aires potentiellement fossilifères. Il sera alors possible d’apporter des éléments de réponse à la question de nos origines qui reste de premier ordre, que ce soit au point de vue scientifique, culturel ou sociétal.
Missions ;
- novembre 2019 : mission de reconnaissance générale au Malawi.
Retour à la page d’accueil Archéologies